Front national : la somme de toutes les peurs par SR.
Et si le danger immédiat posé par le Front national, ce n'était pas la progression de ce parti, mais d'abord les "recettes miracle" proposées par les uns et les autres "pour en finir" ?
S'il est généralement admis que le parti de Marine Le Pen joue sur les angoisses des Français, nous sommes arrivés au point où la "montée" (quel mot) du Front national constitue une peur à part entière, qui vient s'ajouter à celles qui en font le lit : une "méta-peur", en somme. Et de la même manière que les peurs "primaires" ouvrent grand la voie aux antiennes moisies du FN, cette "méta-peur", peur de la peur, peur "dérivée" en somme, offre à toute une série de vieux marchands de la politique une occasion inespérée de nous ressortir leurs camelotes respectives.
Ainsi la droite dure lit dans les sondages récents et dans le premier tour des cantonales "une forte demande" de… — surprise —, droitisation. Les scores du FN le montrent, dit-elle en substance, on n'est pas allé assez loin. Rien d'étonnant à cela, d'ailleurs : entre l'immigration massive, l'insécurité galopante et l'incapacité des gouvernements précédents à régler le problème, les Français ont peur de ce que leur pays est en train de devenir. Pour les rassurer, une seule solution : plus de sécurité, moins d'immigration et un discours plus musclé encore sur la laïcité et l'identité nationale. Ça tombe bien : c'est exactement ce que ces pourfendeurs d'angélisme ont dans leurs cartons.
Quant à la gauche anticapitaliste, nettement plus philosophe que la droite dure (c'est son pêché mignon à elle, disons), elle constate que la montée du FN chez les couches populaires correspond à celle des idées "néolibérales" chez les gens de pouvoir. Ce qui s'explique aisément, d'ailleurs : si les gens votent Front national, c'est qu'en réalité ils ont peur du chômage, du déclassement, de la précarité — tous maux créés par la mondialisation financière et la dérégulation sauvage de l'économie, qui sont comme chacun sait les deux piliers de l'idéologie néolibérale. Dès lors, condamnons le populisme de la droite et raisonnons scientifiquement : la solution, c'est le protectionnisme. Ceci dit, ça tombe bien aussi : étouffer le libre-échange, c'est ce que ces brillants intellectuels s'époumonent à demander depuis qu'ils ont découvert que le monde est monde.
Évidemment, les recettes des uns et des autres sont mutuellement exclusives. D'abord parce que chaque camp est intimement, farouchement, électoralement convaincu que celui d'en face est le vrai responsable de ladite montée du Front national ; ensuite et surtout parce que vous remarquerez que si vous appliquez les deux solutions à la fois, vous obtenez… le programme du Front national. Eh oui. Question verrouillage identitaire, Marine Le Pen bat les droitiers à plate couture : préférence nationale à tous les étages et fermeture des frontières à double-tour, difficile d'aller plus loin. Et en matière de "démondialisation" (si si, on a inventé le mot), les sociaux-démocrates peuvent aller se coucher : sortie de l'euro et taxation des entreprises étrangères, soyez-en sûrs, dans sa bouche à elle, ce ne sont pas que des mots.
L'aile droite de la droite et l'aile gauche de la gauche seront d'accord sur au moins un point : la fièvre frontiste est pour eux une occasion en or de nous vendre des soupes qu'on trouverait, sous n'importe quels autres cieux démocratiques, franchement indigestes.
Résumons : les électeurs du Front national ont peur — peur de l'étranger ; peur du chômage ; peur de l'avenir ; peur de leur ombre même. Et nous autres, démocrates dans notre bon droit et électeurs résignés du Front républicain, avons peur… que ces peurs grossissent encore les rangs du FN ! Et à l'instar des grands malades que le désespoir éloigne parfois de la médecine traditionnelle, nous voyons les charlatans se presser à notre porte.
Attention à la saignée.
Note uniquement publiée sur Choses Vues. Je partage tous les mots de SR.