Quai du bout du monde
Assis au bout du quai de Seine, les pieds flottants au-dessus de l'eau, le vieux monsieur prend le rythme du ressac artificiel du canal. Les mains jointes sur sa canne, il regarde les yeux mi-clos son petit horizon. Rien autour du lieu ne vient rompre le charme du jour qui meurt.
Courant sur les pavés du port, elle s'arrête au bord de la jetée. Elle est fière, elle hésite, elle regarde rapidement derrière elle. Essoufflée. Elle trépigne. Son regard court du bord à l'horizon de façon épileptique. Elle sait qu'elle va le faire. Elle le sait. Les autres non. Pas encore.
Il m'a pris par la main pour me montrer le nénuphar. Sur sa pointe de ses petits pieds, il s'est penché en avant en me tirant pour mieux me montrer la grosse grenouille tout plein de têtards. "Elle va exploser comme le boeuf, tu vas voir" m'affirmait-il. C'était son dernier sourire d'enfant malade.
Ils l'ont déposé sur le sol. Il respirait encore au rebord. Un souffle lent. Une lumière dans les yeux. Il était heureux. Il avait pourtant échoué. Elle avait coulé à pic. Ils l'ont sauvé de justesse. Il a fait tout ce qu'il a pu. Ils lui ont dit. Ils ont fait tout ce qu'ils ont pu. Il est parti la rejoindre le sourire au lèvre.
Je suis allé m'asseoir à coté du vieux monsieur. J'ai mis mes pieds à coté des siens. Nous avons joué avec nos ombres sur l'eau. Il a sourit. Et même rit. Comme un gamin, la gorge ouverte, libre de toute convenance. Généreux. Et puis, il m'a pris le visage dans ses mains de vieux monsieur, comme pour dire qu'il n'était pas sur le quai du bout de ce monde.