Euro RSCG n'a rien compris à Wikipédia
Mardi 10 juin, l’Agence EURO RSCG C&O a publié une étude à propos de l’impact de Wikipedia dans l’image des entreprises du CAC 40. A l’issue de l’analyse, l’étude propose la création d’une « NDLE » (Note de l’entreprise) sur Wikipedia.
Avant-propos :
L’étude est portée sur une durée d’un an et demie. Elle montre la progression et l’impact de l’encyclopédie libre Wikipedia dans les résultats du principal moteur de recherche en Europe, Google. Ainsi, l’étude constate qu’entre octobre 2006 et avril 2008, Wikipedia est devenue la principale source d’information sur les entreprises du CAC 40 ; s’inscrivant régulièrement dans les trois premiers résultats de google.fr. De la même manière, les recherches sur les principaux dirigeants de ces entreprises aboutissent très régulièrement à Wikipedia comme premier résultat. Les fiches encyclopédiques Wikipedia concurrencent alors les sites institutionnels des entreprises.
Proposition de Euro RSCG :
Le rôle de Wikipedia étant devenu majeur au sein de la stratégie de communication de l’entreprise, l’étude préconise deux voix :
- la création d’une note de l’entreprise (NDLE) sur Wikipedia
- la création d’un « i-médiateur » pour chaque entreprise
La proposition de Wikipédia :
L’étude Euro RSCG fait fausse route. Plutôt que de vouloir bloquer Wikipedia, il faut s’intégrer au processus général en l’enrichissant (informations, photos, etc. libres de droit). C’est la seule façon de développer les outils conceptuels et les liens personnels qui permettront de communiquer sur Wikipedia. Mais c’est aussi la seule façon de comprendre leur fonctionnement général et de pouvoir s’adapter à l’émergence grandissante des sites qui commencent à prendre le relais de Wikipedia.
La principale proposition de l’étude consiste en la création d’une « NDLE » (Note de l’entreprise) sur Wikipedia. Cette conclusion est critiquable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on voit mal comment une agence pourra imposer à Wikipedia la création d’une telle note. Comment les convaincre ? En légiférant en France ? Il convient de rappeler que Wikipedia est une structure de la Wikimedia Foundation de droit américain, et que seule cette structure peut prendre des décisions quant aux outils disponibles sur Wikipedia. Ainsi, l’association Wikimedia France n’est pas responsable des contenus de Wikipedia.
Qui plus est, le fondement de Wikipedia est de produire une encyclopédie en contenu libre. C’est-à-dire que l’ensemble des articles présents sur Wikipedia sont mis à disposition du public avec une licence de contenu libre, la GFDL en l’occurrence, l’équivalent pour les documents de la GPL pour les logiciels libres.
Or, une note de l’entreprise ne pourrait en aucun cas être GFDL. Il serait impossible à l’entreprise d’accepter que l’on puisse 1. Copier la note, 2. Modifier la note. Et essayer de l’imposer serait un peu comme décider qu’on veut obliger les logiciels libres à être toujours compatible avec Windows.
La deuxième critique est l’analyse de l’étude. Elle parle d’exemple diffamatoire, d’erreur notable. Quels sont ces exemples ? L’étude ne démontre pas la mesure du problème. On peut être d’accord sur la notoriété de Wikipedia, son audience en augmentation perpétuelle depuis quelques années ; mais aucun élément d’appréciation des risques et problèmes d’images, de réputation de l’entreprise ne sont présentés dans l’étude. Or, quel est le problème ? L’impact de Wikipedia dans la réputation de l’entreprise ? Est-ce majeur ou mineur ? Cela concerne-il les 40 entreprises du CAC 40, ou bien seulement les plus exposés comme Total ou Areva ? Lesquelles sont concernés, quelles sont-elles ?
Il est alors utile de rappeler les 5 principes de Wikipedia :
- Wikipedia est une encyclopédie.
- Wikipedia recherche la neutralité de point de vue.
- Wikipedia publie un contenu libre
- Wikipedia suit des règles de savoir-vivre
- Wikipedia n'a pas de règles fixes (en dehors de ces 5 principes)
La proposition apparait alors comme totalement irréalisable. Pour être présent de manière intelligente et interagir dans les discussions de Wikipedia, il faut d’abord en comprendre les règles.
Oui, il est vrai qu’il y a des « acharnés » sur l’encyclopédie. Mais oui, il y a des règles strictes qui entourent les fiches de Wikipedia. Ces règles permettent alors à l’entreprise de réagir. Pour cela, il faut le faire en toute transparence.
Wikipedia n’est pas un espace publicitaire. La proposition de « NDLE » correspond ici à la création d’un droit de réponse préventif, systématique et de principe ; ce qui n’est pas l’esprit du droit de réponse. Dès lors, pourquoi ne pas imposer une « NDLA » (Note de l’artiste) ou bien « NDP » (Note du politique) qui, après tout, sont aussi des personnes touchés par l’impact de Wikipedia.
La solution est de comprendre comment fonctionne Wikipedia et de s’adapter à ses règles.
Les débats y sont réguler et la confrontation d’argument y est rationnellement fondé sur des sources les plus fiables et connus possibles. Des administrateurs sont présents pour veiller aux respects de ses règles.
La réponse apparait alors inadaptée. Euro RSCG ne mesure pas l’ampleur, ne décrie pas l’ampleur. Plutôt que d’essayer de comprendre comment fonctionne Wikipedia et de s’y adapter, Euro RSCG propose à Wikipedia de comprendre comment fonctionne Euro RSCG et de s’y adapter.
Au contraire, on pourrait recommander à une entreprise de s’insérer dans le processus de Wikipedia plutôt que de le changer. A condition de rester de bonne foi et de respecter le processus collaboratif, rien n’est plus simple que de contacter les responsables ou les administrateurs d’un article pour leur demander de le corriger, puis de surveiller cette correction. Il n’est pas non plus très compliqué de tisser des liens avec cette communauté, de leur fournir des informations et des sources d’information difficiles à obtenir autrement, de mettre à leur disposition des photos libres de droit, des textes que l’on aura placé en GFDL, bref de participer au processus plutôt que de vouloir le tordre à nos cadres préexistants.
Et au lieu de bénéficier d’une « note d’entreprise » entourée de commentaires malveillants, aigris et sarcastiques, nous aurons un article équilibré dont l’impact sur la presse française et étrangère est sans doute aujourd’hui plus importante que celle d’une couverture du Monde (la majorité des journaux étrangers utilisent Wikipedia comme source).
Ajoutons enfin que l’étude de Euro RSCG considère Wikipedia comme un acquis du web alors que ce n’est pas le cas. Sans concurrencer vraiment le trafic de Wikipedia, déjà d’autres outils et d’autres modèles de sites commencent à prendre le relais en terme de trafic : Mahalo, des forums, des wikis thématiques (lostpedia, wowwiki, etc.).
Pour résumer, l’étude de Euro RSCG passe à coté du fonctionnement réel de Wikipedia, et même à coté du fonctionnement réel de l’Internet. Elle était une opportunité de comprendre ces nouveaux mécanismes et de développer de nouvelles méthodes pour les utiliser. Mais elle s’est contentée de réfléchir à la façon de les bloquer.
Cette note est de Aziz Ridouan. J'y souscris complètement.
UPDATE de 16h30 : Le monsieur de Euro RSCG, Stéphane Guerry, qui prend la parole dans les commentaires, sous entendant que l'analyse vient des échos de la presse... c'est ballot, la note provient des documents de Euro RSCG :